Le syndrome de la classe d’anglais
Quand deux crimes notoires du GN, à savoir le hors jeu inapproprié et les références lourdingues, ne brisent pas seulement l’immersion mais nous replongent dans une ambiance de lutte scolaire..
Au printemps dernier, j’ai tourné une vidéo dont le thème était l’interprétation en GN. Une sorte de guide de roleplay pour les débutants et comment s’en sortir sans trop se sentir comme le dernier des cons à côté de ses pompes. Consciente que dans une autre vie, j’ai manifestement dû avoir comme passe-temps de pisser sur des cimetières indiens (je n’ai plus d’autres explication à ce stade pour expliquer mon niveau de malchance), cette vidéo n’est jamais sortie car criblée de défauts techniques.
Incapable de vous en proposer la lecture, voici un résumé et une allégorie de mes sentiments envers cette dernière, ci dessous.
Mais s’il y a bien une théorie de la vidéo que je souhaite retranscrire ici, c’est celle que j’ai surnommé “le syndrome de la classe d’anglais”. C’est en soi une théorie relativement personnelle qui existe sans aucun doute sous un autre nom bien plus sociologique et cool, et que j’ai, comme beaucoup de chose abordées dans mon contenu, expérimenté dans mes débuts en GN. Tu trouves ça intriguant ? T’inquiète, tu vas vite piger. Bref, aujourd’hui, on va parler du hors-jeu et de la grosse déconne en GN, principalement quand ces deux éléments ne sont pas du tout appropriés au GN où vous êtes…
Petit disclaimer de départ : Cet article va sans doute sonner très moralisateur. Gardez en tête que j’ai été aussi une débutante, avec ce que cela représente comme lots de casseroles au cul et de dérapage. On est tous passés par là.
“Soyez sérieux, on joue là”
Le monde du GN et ses formats étant extraordinairement divers, la pratique même du GN et les exigences personnelles de ses participant.e.s sont aussi variées qu’un catalogue Netflix, avec d’un côté les aficionados des documentaires sur, disons, l’art de souffler le verre en URSS quand on a une jambe de bois et de l’autre côté du spectre, des gros nanars genre “La pieuvre à 9 têtes VS les cheerleaders asthmatiques.”
De fait, chez chaque GNiste, il y a une jauge de tolérance au hors-jeu complètement différente. Rappelons le, le hors-jeu, c’est lorsque tu n’es pas en personnage. C’est lorsque toi, joueur, joueuse, tu parles, déconnes et communiques sans jouer.
Par exemple, je connais pas mal de pratiquant.e.s du GN qui ne sont “en personnage” que lorsqu’il y a du monde. Dès qu’ils/elles se retrouvent en faction, dans la sécurité de leur campement ou leurs amis, ils repassent pour ainsi dire en hors-jeu. Comme si les personnages n’étaient en représentation que pour les autres…
Evidemment, ce type de réaction est plus présent dans ce qu’on considère comme étant des Mass-Larps/Boffer Larps, avec beaucoup de participant.e.s et des exigences bien moins élevées sur l’implication roleplay des joueurs. Mais cela est aussi présent sur de plus petits formats. Et parfois, ce hors-jeu très évident, visible de tous, est présent sur des formats “sérieux” où ce n’est pas du tout approprié, voire même interdit par l’organisation.
De mon côté, les GN que je privilégie depuis deux-trois ans, sont régis par une règle simple : jamais de hors-jeu non nécessaire. C’est à dire qu’à partir du lancement du live jusqu’à l’annonce de la fin de jeu, que ce soit verbalement par l’organisation ou une musique d’ambiance par exemple, il n’y a pas un seul moment de hors-jeu. Pas un seul.
Il y a généralement des espaces prévus ou des créneaux horaires afin de permettre aux gens de souffler, fumer une cigarette et demander comment se passent les études des gosses, mais en dehors de cela, le hors-jeu n’est pas toléré. Cela fonctionne grâce à un contrat social accepté de tous et évidemment, de telles exigences sont annoncées dans la lettre d’intention.
On ne va pas te prendre en traître hein.
Le hors-jeu en dehors des zones prévues à cet effet, n’est alors toléré qu’en privé et pour des besoins de calibration, toujours dans l’optique d’améliorer le jeu et l’immersion pour ses participants.
Pour beaucoup de GNistes qui vont lire ces lignes, cela n’a rien de surprenant. C’est presque la base. Pour d’autres, cela doit certainement constituer une surprise. Peut-être paraître très exigeant, voir même fatiguant ou snob.
Là encore, le but de cet article n’est pas d’insulter qui que ce soit dans sa pratique respective du GN. Je ne cesserai jamais de dire que chaque GN a des prétentions différentes, mais aussi une différence dans l’échelle de sérieux demandé à ses participant.e.s.
En soi, les petits moments de flottements hors-jeu ne sont pas des crimes impardonnables. Enfin, plus spécifiquement, ce n’est pas une horreur si c’est consenti par ceux qui y participent. Cela devient par contre problématique quand on se retrouve contraint à le faire, entraîné par d’autres, par politesse, sans oser dire “Didier, je suis contente que Capu entre en CE2 en septembre, mais j’ai pas claqué 120 balles en carquois sur mesure pour l’entendre ici. Tu peux aussi me le dire sur Facebook.”
C’est aussi problématique si ce hors-jeu empiète sur le reste du GN et qu’il est audible par les participants qui, eux, s’en foutent VRAIMENT MAIS ALORS VRAIMENT de la kermesse du petit Enzo ou que belle-maman à des varices grosses comme des lacets de Doc Martens.
Il n’y a d’ailleurs pas que le hors-jeu intempestif qui peut ruiner de belles scènes ou une atmosphère. Il y a aussi l’humour lourdingue en guise de sas de décompression. Mais si, tu sais. La fameuse blague Kaamelott ou la référence Naheulbeuk inévitable, qui à parfois le don de débarquer quand le jeu devient trop sérieux pour certain.e.s..
Pourquoi ? Il y a souvent des explications à ça : Parce que participant.e X est peut-être mal à l’aise avec le jeu réaliste et une certaine intensité des performances qui lui fait face. Bien souvent c’est juste une différente culture de jeu ou bien car on y est pas habitué et qu’on trouve ces débordements d’émotions bien ridicules. Pour d’autres car cela va les renvoyer à leur propre incapacité à y aller à donf. La petite vanne devient alors ce moyen d’exprimer sa gêne, faute de quoi savoir quoi dire ou faire. Au delà de ces considérations, c’est également, peut-être, juste parce que tu ne peux pas t’empêcher de vanner. Ce n’est qu’après que tu te rends compte que la situation n’est pas du tout adaptée. Et comme tes amis rigolent, parfois juste par politesse ou par gêne, pourquoi s’arrêter ?
Il ne s’agit pas de foutre au pilori le premier dugland venu qui ne peut pas s’empêcher de placer un “on ne peut pas dire qu’il n’y ait de bonne ou de mauvaise situation..”, l’humour a sa place en GN. Mais cela a souvent été un souci. “Brian” est certes “in the Kitchen”, mais il n’a pas forcément sa place en plein enterrement du Duc, et se souvenir du Best Off des vannes de Caméra Café n’est peut-être pas le plus approprié. Ce petit souci qui peut vite devenir casse-couille a d’ailleurs fait l’objet d’une intervention en 2017 lors de BetaLarp, une convention sur le GN en Belgique francophone, sur le thème du “Tribunal du Lol”.
Je plaide coupable pour ce crime notoire : En plein GN en République tchèque en 2018, usée par la marche par -20 degrés et la fatigue, j’ai volontairement cité “La Classe Américaine” et “La Cité de la Peur” (en anglais, s’il vous plaît) dans l’espoir de faire marrer deux joueurs francophones aussi usés que moi, avec succès d’ailleurs. Cela restait du domaine de la private joke, mais ça aurait pu bien faire chier les autres francophones undercover aux alentours. “Read the room”, comme disent les ricains, apprendre à jauger sur les visages et piger quand c’est le bon moment pour vanner sans devenir une nuisance, ça s’apprends avec l’expérience. (Ou pas).
Retour à l’école
Et là où ça devient VRAIMENT problématique, c’est quand on commence à se foutre ouvertement de la gueule de ceux et celles qui n’hésitent pas à dire “S’il vous plaît, les gars, on peut éviter le hors jeu ?” en répondant d’un “ça va, c’est bon, c’est un jeu hein, faut pas avoir la grosse tête..”. Oui, c’est vrai, nous sommes là pour du ludique. A un certain degré selon les thématiques du GN en question. Mais quand on pense au travail mis dans l’écriture, l’organisation, la logistique, n’est-il pas dommage de transformer un GN pas du tout prévu à cet effet en simple BBQ costumé grand-format ? Peut-être en avez-vous croisé des comme ça. Peut-être avez vous été cette personne. Peut-être l’êtes-vous encore. Je ne juge pas, j’ai été une des concernées quand je pensais que c’était la norme.
Par ailleurs, pour nuancer, on peut très bien faire des efforts extraordinaires d’immersion et tomber dans ces travers-là. On peut ainsi être un.e participant.e avec un costume exquis, détaillé, recherché… et tomber naturellement dans les affres du hors-jeu et ne pas comprendre où est le mal quand on interrompt la très tendue réunion diplomatique en gueulant pour savoir où est planquée la glacière. C’est une question d’habitude mais aussi de ce qu’on recherche dans sa pratique personnelle du grandeur nature.
Revenons au titre. Pourquoi le syndrome de la classe d’anglais ? Parce que lorsque j’ai vu des GNistes se moquer ou vilipender des joueurs et joueuses “sérieux”, qui jouaient bien, intensément et oui, demandaient à ne pas entendre parler des futures vacances à la Grande-Motte, ces comportements m’ont rappelé ceux d’élèves français dans une classe d’anglais. Un comportement que j’ai vu et revu dans les nombreux établissements que j’ai fréquenté enfant et adolescente (je suis une déménageuse de l’extrême, ma gueule), même à la fac.
Ce moment où, alors que nous sommes là pour apprendre la langue afin de la parler quand même et pas faire du boudin avec, personne n’ose prendre un accent correct par peur de passer pour le lèche-boule local. Cette peur de faire quelque chose de sérieux, j’ai presque envie de dire, de stylé ! Par peur d’être jugé par les autres. Je n’ai jamais compris cette envie de se tirer vers le bas et de se moquer éperdument de ceux et celles qui venaient faire ce pour quoi nous étions tous là.
Et combien de Français aujourd’hui sont incapables de parler anglais en laissant libre court à un accent compréhensible pour des anglophones, frustrés de n’avoir osé à l’époque ? Et combien de gens sont parfaitement capables de communiquer en anglais devant des anglophones, mais dès qu’un francophone est dans le coin, repassent en mode spike ingliche ?
J’écris “j’ai vu” mais de fait dans la communauté du GN, il existe encore des milieux, des groupes où ce sentiment persiste. Et c’est vraiment, vraiment de la grosse merde en barre quand c’est imposé et pas approprié par rapport à l’ambiance voulue du GN. Quel intérêt de décourager ceux qui sont venus faire ce pour quoi ils ont investi tant de temps, d’argent et d‘énergie ?
Plein de GNistes, pratiquants de longue date, n’ont jamais osé se lancer dans de l’interprétation “sérieuse” ou avec plus d’émotions, de sentiments, de peur de passer pour des glands auprès des autres, souvent de leurs ami.e.s proches qui les accompagnent sur le jeu, qui ont tendance à les connaître en dehors du cadre du GN.
Ils et elles ressentent le besoin de tomber dans le hors-jeu ou la pseudo-déconne pour désamorcer ce avec quoi ils et elles sont mal à l’aise. Et finalement, ils et elles brisent involontairement l’immersion de beaucoup d’autres en plus de se gâcher aussi un peu de plaisir.
Mais alors, pourquoi ne rien dire ? Pourquoi ne pas oser remettre son groupe dans les rangs, et rigoler mollement alors qu’on aimerait faire du putain de jeu de rôle ? C’est simple : Pression sociale, sentiment d’illégitimité et pas envie d’être la casse-burne de service. Merde, même moi, cela m’arrivait encore il y a peu : Parce que bien que fière de mon parcours GNistique, forte de la diversité de mes expériences et de mon expérience générale, je reste persuadée d’être un “bébé”.
Je n’ai officiellement débuté le GN qu’en 2015. Et il y a encore peu, je n’osais pas lever la voix pour faire la police (et agent de la paix avant tout) et rappeler aux autres que dediou, on est là quand même pour faire du jeu de rôle.
Dans jeux de Rôles (grandeur nature ou pas) y’a RÔLES, putain.
Une camarade rôliste saoulée, en saturation de vannes inutiles.
Personne n’a envie de faire Capitaine Buzzkill ou Agnan du Petit Nicolas qui rappelle qu’on a des règles à respecter. Il faut une certaine poigne et se sentir légitime avant de taper du poing sur la table. Et il ne s’agit pas tant de faire respecter “les règles” que de pouvoir satisfaire ses propres envies d’immersion, ainsi que le but premier de sa présence sur le GN : jouer. Être capable de dire : “Je vous aime les potes, mais j’ai pas fait tout ce chemin, investi dans le gn, les dépenses parallèles et mon costume pour entendre des choses que je pourrais entendre au téléphone”.
Chutzpah et Calibrations
Longtemps, je n’ai pas osé ouvrir ma grande gueule, toujours terrifiée à l’idée de déranger et d’être une nuisance pour les autres. Puis un jour, j’ai pris une leçon dans la tronche.
N’étant pas porteuse de testicules, j’essaye d’éviter à présent l’expression “avoir des couilles”, parce que je pense que l’audace n’est en aucun cas le domaine du scrotum. J’utiliserai donc le terme yiddish “Chutzpah” qui résume formidablement l’attitude que je vais vous décrire. (Soyez patients, on arrive au bout).
L’une des attitudes que j’ai trouvé la plus éducative à ce sujet provenait d’une excellente GNiste, du nom d’Isobelle. Je vous souhaite de jouer un jour avec elle, c’est du velours.
Bref, Isobelle est la première joueuse dont j’ai assisté au ras-le-bol verbalisé. A force de subir des discussions hors-jeu chaque fois qu’elle rentrait dans la chambre de notre groupe – qui devait servir à jouer, il est important de le dire – cette dernière a clairement montré qu’elle était agacée.
Elle nous a alors intelligemment proposé un deal : puisqu’il ne se passerait rien pendant environ une heure, pourquoi ne pas clairement tous passer en hors-jeu, se faire un micro apéro dans cette salle qui nous était réservée, recharger les batteries après une journée pleine d’émotions et à 18h, reprendre le tout avec sérieux cette fois-ci et sans dérapage ? C’est exactement ce que nous avons fait. Et franchement, cette pause nous a fait du bien, sans entre-deux, parce qu’elle était complètement acceptée par le groupe.
Sa réaction était superbe, déjà parce qu’elle l’a expliquée diplomatiquement mais surtout car elle était entièrement dans son bon droit: elle n’avait pas à tolérer des bavardages qui n’avaient pas leur place à cet endroit. Même si nous étions majoritaires, elle n’avait pas signé pour ça.
L’audace et la franchise, bref la chutzpah d’Isobelle m’a convaincue une fois de plus des bienfaits de la calibration. Que ce soit le discours avant le GN avec son groupe proche pour décider de nos angles de jeu mais également de nos envies respectives, nos attentes et notre degré d’implication. Savoir ce dont chacun à besoin, à sa mesure, pour se laisser porter dans un hobby où la communication reste reine.
Pour résumer..
Mais s’il est important d’éduquer les gens au sujet du hors-jeu, des problèmes que cela peut engendrer pour le plaisir des uns et des autres, il faut aussi en comprendre l’origine.
Le hors-jeu débarque pour myriades de raisons, entre autre la fatigue, l’usure, l’emmerdement parfois et simplement l’envie de communiquer avec ses amis qu’on ne croise pas souvent. C’est une réalité et nous restons tous humains avant tout, avec notre droit à l’erreur.
Si j’ai drastiquement cessée d’initier le hors-jeu non approprié, je ne suis pas encore imperméable à l’appel de à la vanne facile. Je le fais et le ferai peut-être encore. Mais j’ai su analyser, avec l’expérience, tout ce qui entraînait ma propre relâche. J’ai notamment compris que, malheureusement, je reste une suiveuse et je me laisse facilement entraînée (et surtout parce que je suis une sale clown de fond de classe et que je ne résiste pas à l’envie de faire marrer mes ami.e.s). Depuis peu, j’essaye de faire également la police pour les autres et pour moi même, verbaliser quand cela gâche mon propre plaisir.
Si vous êtes dans un groupe de joueurs, communiquez en amont sur ce sujet sur vos attentes respectives. Faites savoir, avec des gants de velours, quand vous êtes agacé : il est difficile d’améliorer un comportement quand on ne sait pas qu’il est problématique. Si hors-jeu il doit y avoir, il doit être accepté par tous ceux et celles qui vont le subir. Rien qu’un peu d’aménagement et de créneaux ou espaces dédiés à cet effet ne peut pas arranger la situation.
Et sinon, la clef reste de choisir des GNs à l’ambiance appropriée selon ses envies et ses capacités d’adaptations. Que ce soit dans le niveau d’implication ou l’ambiance que l’on se sent prêt à respecter. La demande reste suffisamment large et variée pour que chacun y trouve son plaisir sans entamer celui de l’autre.
Parce qu’on soit un vétéran ou un débutant, il serait dommage d’avoir contribué à 70 balles de PAF et 200 boules de costumes dans l’espoir de s’immerger dans les Terres du Milieu pour se retrouver plongés de nouveau dans les affres de la classe d’anglais…
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